Article de blog

28 avril 2022

[POINT DE VUE] Product-as-a-Service : pourquoi l’industrie manufacturière doit accélérer son virage serviciel

Pour l’industrie manufacturière, le besoin client est trop souvent réduit à des cahiers des charges techniques qui ne permettent pas de capter la profondeur de celui-ci. Les industriels ont donc appris à déployer des services pour compléter leur offre produit. En BtoC, c’est l’image classique du concessionnaire qui vend des réparations. Mais ça n’est pas toujours suffisant. 

Les industriels se heurtent aujourd’hui à la concurrence d’intermédiaires serviciels, volontiers disruptifs, comme Engie Axima qui prend en charge la gestion et la maintenance d’installations techniques, véritable surcouche dans la relation client-OEM. Jusqu’alors, pour les producteurs, les revenus ne sont fonction que du volume des produits manufacturés. Cependant la réalité opérationnelle de la gestion client se décline bien souvent dans des exigences de performance que l’on peut évaluer sur 4 axes : traçabilité, taux de service, qualité, et lead-time. Comment faire alors pour refléter ces exigences dans les contrats et dans les usages  ? 

 

Embrasser le virage serviciel pour les entreprises manufacturières 

PME comme grands groupes, de nombreuses entreprises productrices ont déjà pris le virage serviciel dans les dernières années, et comptent en continuer le déploiement.  

Concrètement, elles n’annexent plus un service au produit, mais font évoluer leur offre, en vendant un service dont le produit est le vecteur. C’est le concept du Product-as-a-Service (Paas). Des entreprises à toutes échelles incorporent déjà le PaaS dans leur mix commercial, comme Schneider Electric qui s’est donné pour objectif d’élargir son offre servicielle de 10 % à 25 % de son CA d’ici 2030. 

 Le PaaS dans l’environnement B2B manufacturier consiste à : 

  • Repenser le business model pour coller au mieux à la valeur apportée au client, en se plaçant dans une économie de la fonctionnalité plutôt que de la consommation. Typiquement, vous ne pouvez plus acheter des réacteurs Rolls-Royce, mais seulement du « power-by-the-hour », c’est-à-dire des minutes de puissance. Le rationnel part du constat que les compagnies aériennes n’ont pas d’intérêt à posséder des réacteurs, mais qu’elles ont besoin de puissance pour mouvoir leurs clients à travers le globe. 
  • Promouvoir les réflexions sur les cycles de vie produits : penser la conception, l’utilisation, la maintenance ainsi que le démantèlement et le recyclage ; être capable de gérer un parc de produits inter clients ; outiller les produits physiques pour en connaître l’usage via l’exploitation de la donnée. Caterpillar Mining par exemple, qui loue des véhicules miniers, met en place une maintenance prédictive pour garantir les meilleurs taux de service à ses clients. Les véhicules sont équipés de capteurs connectés et leur usage est étudié de sorte à planifier des interventions de maintenance avant que les véhicules ne tombent en panne. 
  • Se repositionner dans un marché avec des acteurs dont les positions évoluent, que ce soit pour répondre à des intégrations servicielles et verticales à grande échelle, ou aux plateformes qui font planer la crainte de restreindre les entreprises manufacturières à leur fonction productrice. Babcock International donne un exemple vibrant du premier scénario. Cette entreprise tentaculaire dans les services d’ingénierie complexe a doublé de taille dans la dernière décennie à la suite d’acquisitions multiples. Elle s'est positionnée en fournisseur unique multisupport pour ses clients, comme l’armée britannique dont Babcock est l’unique point de contact pour la maintenance de la quasi-totalité de ses équipements. Le second scénario renvoie à l’exemple classique d’Uber qui souhaite être la référence du déplacement courte et moyenne distance, empiétant alors sur le marché du véhicule B2C et en utilisant les constructeurs automobiles en marque blanche. 

 

 Que peut-on espérer d’une transition vers les services ? 

 Les bénéfices d’une transformation du secondaire au tertiaire couvrent l’ensemble des dimensions de l’entreprise, en repensant son organisation face au marché et en interne. 

 Organisation face au marché 

  • Augmenter le nombre et la profondeur des interactions avec les clients 
  • Offrir une meilleure visibilité sur les revenus et fonctions du produit, potentiellement passer d’une dépense de CAPEX en OPEX pour le client 
  • Diversifier ses activités tout en s’assurant une position de choix : profiter de la position de précurseur pour lever des barrières à l’entrée 
  • Proposer une offre plus compétitive face au low cost qui monte en gamme 
  • Raccourcir la chaîne de valeur et supprimer les intermédiaires 

 Organisation industrielle et managériale 

  • Profiter de la remontée d’informations sur le produit en fonctionnement afin de guider l’amélioration produit 
  • Passer d’un design-to-cost à un design-to-value et répondre à des besoins de leviers de circularité 
  • Rapprocher les objectifs internes des indicateurs de performance client 
  • Réaliser des économies d’échelles, diminuer les impacts environnementaux et booster les synergies industrielles 
  • Développer les équipes sur des responsabilités transversales, qui correspondent aux formations supérieures pluridisciplinaires 

 Par ailleurs, parmi les points d’attention et freins liés à une transformation servicielle, on peut souligner : 

  • L’inertie du passage à l’action : il convient de comprendre ce qui va les intéresser dans l’offre servicielle, et sous quelles conditions ils s’y mettront 
  • Une prise de risque pour le producteur, notamment financier avec un BFR qui peut être introduit lors du changement de régime de facturation 
  • Un besoin de fortes capacités d’adaptation notamment dans les méthodes de lancement et d’innovation produit : les cahiers des charges et autres cycles en V s’avèreraient inadaptés pour créer de la valeur 

 

Alors, comment faire, et surtout, par où commencer ? 

Tout d’abord, il n’y a pas de taille critique ou préconisée pour proposer une offre servicielle. Deltalys par exemple, une PME dans l’industrie biogaz, réalise une croissance doublée chaque année dans un marché stable, car elle est l’une des seules entreprises du secteur à avoir une offre basée sur une proposition de service. Leur avantage compétitif est rendu possible grâce à la circularité qu’ils incorporent comme un élément central dans leurs opérations. Ils s’affranchissent des fluctuations du marché dans le sourcing des matières premières en alimentant les centrales biogaz avec leurs déchets . Cela permet une meilleure gestion de leur prix, abaissant ainsi leur risque. 

Se mettre en mouvement 

Peu importe sa taille, n’importe quelle entreprise peut amorcer un pivot en 3 à 6 mois en lançant un programme d’innovation chez le client. 

En suivant une méthodologie de transformation adéquate, incluant les principes du lean startup, repensant le produit avec une approche design-to-value, intégrant l’innovation business dans son portefeuille R&D et avec des ressources dédiées, une entreprise peut mettre en place un POC* d’une offre servicielle chez un client. 

Areco par exemple, une ETI pionnière de la nébulisation dans les rayons frais, a redéfini son offre afin de se positionner en spécialiste de la performance des rayons frais. 

Partant en 2017 d’une étude d’écoconception et d’analyse de cycle de vie, l’entreprise décide de centrer ses efforts sur l’utilisation en magasin, principal facteur des impacts environnementaux. En itérant avec des clients, une première offre de performance est esquissée, basée sur un modèle économique de fonctionnalité. Un prototype est élaboré, qui leur permet dès 2018 de réaliser un gain de 10 % d’énergie et qui simplifie par ailleurs les opérations de réparation et maintenance. Le business model ne lie pas toujours la part « matériel » et la part « service ». Depuis, mue par la volonté d’aller plus loin et sur la base d’expérimentations et de co-développements avec un client particulier, Areco dispose désormais d’une offre exhaustive vendue sous la forme d’un abonnement évolutif et sans engagement. Sur le modèle des solutions SaaS**, Areco fait le pari de la satisfaction client. 

 

Pour en savoir plus sur les transitions servicielles et circulaires et les façon de les enclencher dans votre industrie, découvrez notre tribune « Du linéaire au circulaire » ainsi que notre étude publiée en partenariat avec l’INEC : « Pivoter vers l’industrie circulaire ». 

 

 

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*POC : Proof-of-concept, preuve de concept 

**SaaS : Software as a Service, abonnement « à la demande » 

 

Robin Lenormand

Consultant

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